8. Le colonialisme : l’Église à la conquête du monde ?

L’accusation

L’Église a toujours soutenu la conquête du monde par les États occidentaux et l’oppressions des nations colonisées, faisant de l’annonce de la foi chrétienne un prétexte pour forcer des peuples qui n’en voulaient pas à adopter la culture occidentale.

La réalité

L’Église a toujours envoyé des missionnaires dans toutes les nations, avec ou sans l’appui du pouvoir politique : durant les trois premiers siècles, les apôtres et leurs successeurs et tous les chrétiens ont été violemment persécutés ; si la situation de l’Église s’est améliorée en Occident, les chrétiens sont restés persécutés en Orient jusqu’à nos jours. Quant aux missionnaires envoyés par les Églises occidentales, ils précèdent largement la colonisation, et ne craignent pas d’aller dans des pays où aucune entreprise de colonisation n’est à l’œuvre, comme en Extrême-Orient, où ils meurent martyrs en grand nombre. Si des missionnaires profitent de la colonisation en Amérique et en Afrique, et si la politique coloniale cherche aussi à profiter de l’entreprise des missionnaires, force est de reconnaître que l’Église n’a jamais fait dépendre la mission de la colonisation. Par ailleurs, l’Église a toujours distingué l’annonce de l’Évangile de l’exportation de la culture européenne : là où la colonisation vise à imposer aux peuples conquis la domination d’une nation européenne, la mission vise à déposer l’Évangile au cœur de la culture du pays pour y susciter un christianisme pleinement autochtone.

Quelques exemples

  • Parmi les chrétiens engagés en Amérique ou en Afrique, ce ne sont pas les militaires comme Cortès ou Lyautey que l’Église a choisi d’honorer et de donner en exemple, mais les missionnaires les plus engagés dans la défense ses peuples autochtones, comme Anne-Marie Javouhey (1779-1851, religieuse missionnaire et militante anti-esclavagiste), ou François Libermann (1802-1852, connu pour son souci de respecter la culture des peuples autochtones), dont les procès de béatification sont en cours (en vue d’être déclarés bienheureux, puis saints).
  • Certains missionnaires étaient résolument opposés à la colonisation, comme le père Honoré Laval (1808-1880), religieux de Picpus, missionnaire en Océanie.
  • Comment oublier aussi les nombreux prêtres, religieux et religieuses qui ont sacrifié leur vie pour le service des malades dans les pays lointains, à l'image de saint Damien de Veuster (1840-1889), missionnaire mort de la lèpre pour avoir consacré son ministère au soin des lépreux ?

Quelques chiffres

  • Entre 20.000 et 50.000 : c’est le nombre de victimes offertes en sacrifice humain chaque année au Mexique à l’époque de la conquête espagnole[1] - qui peut regretter que la religion sanguinaire des Aztèques ait laissé place au christianisme ?
  • Entre 8.000 et 10.000 : c’est le nombre de religieuses missionnaires françaises en 1901 [2] ; presque toutes se consacrent aux œuvres de charité : écoles, hôpitaux et dispensaires, etc.
  • 9 pour 1 : en 1841, au Vietnam, on comptait 73 prêtres vietnamiens pour 8 missionnaires européens[3], signe que le but des missionnaires a toujours été de favoriser l’établissement d’une hiérarchie catholique autochtone, là où le but des colonisateurs était d’établir une domination occidentale sur les pays colonisés.

Parole aux témoins, parole aux historiens

  • Éric Roulet (né en 1964), historien, spécialiste de la conquête des Amériques, décrit l’enthousiasme des Indiens abandonnant leur cruelle religion pour embrasser la foi chrétienne[4] : « De tous côtés des foules enthousiastes accourent pour demander à entrer dans le royaume de Dieu. À l’aube des années 1530, le nombre des Indiens convertis est estimé à 1 million. En 1535, il se situe entre 5 et 6 millions. »

  • Le vénérable François Libermann (1802-1852), dans une lettre qu’il adresse en 1847 aux missionnaires qu’il dirige[5], écrit : « Dépouillez-vous de l’Europe, de ses mœurs, de son esprit. Faites-vous nègres avec les nègres[6] et vous les jugerez comme ils doivent être jugés. Faites-vous nègres avec les nègres pour les former comme ils doivent l’être, non à la façon de l’Europe, mais en leur laissant ce qui leur est propre. Faites-vous à eux comme des serviteurs doivent se faire à leurs maîtres. »

  • Même son de cloche dans les consignes données par le pape Benoît XV en 1919[7] : « N’oubliant jamais qu’il n’est pas un envoyé de sa patrie, mais du Christ, [le missionnaire] doit se comporter de façon à ce que chacun puisse indéniablement reconnaître en lui un ministre de cette religion qui, embrassant tous les hommes qui adorent Dieu dans un esprit de vérité, n’est étrangère à aucune nation. »

  • Joseph Ki-Zerbo (1922-2006), historien burkinabé[8] : « De nombreux missionnaires, vivant dans des conditions particulièrement misérables, ont atteint à la simplicité héroïque des premiers âges de l’Église. De plus, les missionnaires ont rempli durant cette période (…) une œuvre que l’administration coloniale n’aurait pas accomplie (…). D’innombrables dispensaires ont été bâtis et peuplés de religieuses qui ont poussé l’abnégation jusqu’à l’ultime sacrifice. La plupart des écoles primaires et secondaires ont été ouvertes par des missionnaires (…). Au total, les missions chrétiennes ont été l’un des principaux leviers de l’évolution sociale, intellectuelle et morale de ces pays. »

Pour aller plus loin…

  • Borne, Dominique & Falaize, Benoît, Religions et colonisation. Afrique - Asie - Océanie - Amériques - XVIe-XXe siècle, Les Éditions de l'Atelier / Éditions ouvrières, 2009

  • Dufourcq, Élisabeth, Les Aventurières de Dieu. Trois siècles d'histoire missionnaire française, J.C. Lattès, 1993

[1] Graulich, Michel, « Les victimes du sacrifice humain aztèque », in Civilisations, n. 50 (2002), pp. 91-114.

[2] Prudhomme, Claude, « La France et les missions catholiques, XVIIIe-XXe siècles », in Tallon, Alain & Vincent, Catherine, Histoire du christianisme en France, « U - Histoire », Armand Colin, 2014, p. 375.

[3] Rossignol, Raymond, « La formation du clergé indigène, priorité des Missions Étrangères », in Histoire et missions chrétiennes, vol. 7, n. 3 (2008), pp. 9-21.

[4] Roulet, Éric, L’Évangélisation des Indiens du Mexique, Presses universitaires de Rennes, 2008, p. 17.

[5] Notes et documents, t. IX, Maison-Mère de la Congrégation du Saint-Esprit, 1939, p. 330.

[6] À l’époque, le terme « nègre » n’est pas employé en un sens péjoratif ; la phrase même de Libermann montre bien le respect qu’il exige de ses missionnaires envers la culture autochtone.

[7] Dans la lettre apostolique Maximum illud du 30 novembre 1919.

[8] Histoire de l’Afrique noire, Hatier, 1972, p. 439.