L’accusation
Pendant la Deuxième Guerre mondiale, le pape Pie XII n’a rien fait pour sauver les Juifs de la persécution nazie ; pour protéger l’Église, il a pactisé avec Hitler, et voyait même dans l’Allemagne nazie la seule chance de sauver l’Europe du péril communiste.
La réalité
Pie XII a toujours dénoncé le nazisme : d’abord comme nonce apostolique en Allemagne (c’est-à-dire ambassadeur du pape, 1919-1927), puis comme secrétaire d’État (c’est-à-dire premier ministre du Saint-Siège, 1930-1939), et enfin comme pape (à partir de 1939). Les termes de ses discours et de ses interventions peuvent paraître légers aujourd’hui, en évitant par exemple de nommer explicitement les Juifs comme victimes, mais dans le contexte de l’époque la condamnation est clairement comprise par les forces en présence, si bien que la presse de propagande nazie l’attaque justement comme un défenseur des Juifs [1]. En plus de son action diplomatique, Pie XII encourage le clergé, et en particulier le clergé de Rome, à accueillir et à protéger les Juifs : dans la seule ville de Rome, des milliers d’entre eux trouvent refuge dans les couvents ou les résidences ecclésiastiques. La reconnaissance unanime des Juifs au lendemain de la guerre témoigne de cette action accomplie par le pape en leur faveur.
Quelques exemples
- Pendant les douze ans (1919-1927) qu’il passe en Allemagne comme nonce apostolique (ambassadeur du pape), le futur Pie XII prononce 44 discours, dont 40 contiennent une dénonciation du nazisme [2].
- Aux Pays-Bas, où l'opposition des évêques au nazisme est plus clairement exprimée, les nazis en représailles multiplient les déportations de Juifs, de sorte que plus l'opposition au nazisme se fait explicite, plus les Juifs sont persécutés, et non l'inverse !
- Tout au long de la Guerre, le pape a soutenu l'action de la résistance intérieure allemande, en particulier par l'intermédiaire du résistant Josef Muller (1898-1979).
- Le grand rabbin de Rome, Israël Zolli (1881-1956), qui se convertit au catholicisme en 1945, prend pour prénoms de baptême Eugène et Pie, en hommage à Pie XII (Eugenio Pacelli) pour son action en faveur des Juifs de Rome.
Quelques chiffres
- Entre 700.000 et 860.000 sur un total de 945.000 : c’est, selon l’estimation de l’historien juif Pinchas Lapide (1922-1993), le nombre de Juifs sauvés par l’intervention directe de l’Église sous le pontificat de Pie XII, sur le nombre total de Juifs ayant échappé à la Shoah en Europe occupée [3].
- 10.000 : c’est, selon l’estimation de l’historien et militant catholique Andrea Riccardi (né en 1950), le nombre de Juifs cachés dans les couvents et les maisons ecclésiastiques de la ville de Rome grâce à la bienveillance du pape [4].
Parole aux témoins, parole aux historiens
- Isaac Herzog (1888-1959), grand rabbin de Palestine, écrit en 1944 [5] : « Le peuple d’Israël n’oubliera jamais ce que Sa Sainteté [le pape Pie XII] et ses illustres délégués, inspirés des principes éternels de la religion qui forment la base même de la vraie civilisation, font pour nos infortunés frères et sœurs dans l’heure la plus tragique de notre histoire, laquelle [sic, comprendre : l’action du pape] constitue une preuve vivante de la Providence divine dans ce monde-ci. »
- Golda Meir (1898-1978), alors ministre des affaires étrangères de l'État d'Israël, déclare à l'ONU après la mort de Pie XII [6] : « Nous pleurons un grand serviteur de la paix. Dans une époque accablée sous les guerres et la discorde, il a maintenu l'idéal de la paix et de la charité. Pendant les dix années de la terreur nazie, quand notre peuple a souffert un martyr effroyable, la voix du pape s'est élevée pour condamner les bourreaux et pour exprimer sa compassion envers les victimes. »
Pour aller plus loin…
- Dalin, David, Le Mythe du pape d’Hitler, « Histoire et société », Tempora, 2007
- Guittat-Naudin, Muriel, Pie XII après Pie XII. Histoire d'une controverse, « Cas de figure », Éditions de l'E.H.E.S.S., 2015
- Riebling, Mark, Le Vatican des espions. La guerre secrète de Pie XII contre Hitler, Tallandier, 2016
[1] Cf. Dalin, David, Le Mythe du pape d’Hitler, « Histoire et société », Tempora, 2007.
[2] Ibid.
[3] Rome et les Juifs, Seuil, 1967, p. 270, note 1.
[4] L’Hiver le plus long. 1943-1944 : Pie XII, les Juifs et les nazis à Rome, Desclée de Brouwer, 2017.
[5] Lettre du rabbin Herzog à Monseigneur Cassula, Ankara, 28 février 1944, in Secrétairerie d’État de Sa Sainteté, Actes et documents du Saint Siège relatifs à la Seconde Guerre mondiale, vol. 10, Libreria editrice vaticana, 1980, p. 292.
[6] « Mme Golda Meir à l'ONU », in Le Figaro, 10 octobre 1958.
